Mourad MAZAR & les experts MED : L’Europe et les guerres au Moyen-Orient : Quelle place pour la diplomatie ?
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- il y a 4 jours
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Alors que le Moyen-Orient reste plongé dans une succession de conflits, l’Europe est perçue comme un pôle potentiel de médiation et de désescalade, en raison de ses liens historiques avec la région, de sa proximité géographique et de ses relations politiques et économiques de longue date.Cependant, les divisions internes au sein de l’Union européenne, les intérêts stratégiques divergents et l’absence d’initiatives diplomatiques coordonnées ont, jusqu’à présent, compromis sa capacité à s’imposer comme un acteur cohérent, crédible et influent.
Cet événement a pour objectif d’examiner comment l’Union européenne, ses États membres ainsi que le Royaume-Uni peuvent jouer un rôle plus structurant et efficace dans les efforts de résolution des conflits au Moyen-Orient, en analysant de manière critique les opportunités diplomatiques à saisir et les défis géopolitiques à surmonter.
Découvrez les analyses et les points de vue approfondis du président de l’OMSAC, M. Mourad Mazar, ainsi que ceux des experts MED sur le rôle de l’Europe face aux guerres au Moyen-Orient.
Mourad Mazar : Président de l'OMSAC : L’Europe face aux conflits du Moyen-Orient : de la marginalisation à la responsabilité

Alors que les lignes de fracture se multiplient au Moyen-Orient — entre effondrement d’États, luttes d’influence, crises humanitaires massives et violations graves du droit international —, l’Europe semble aujourd’hui à la croisée des chemins : entre marginalisation croissante et possibilité de renouer avec une diplomatie de principes et de responsabilité.
Le rôle historique de l’Europe dans cette région, tantôt moteur de dialogue, tantôt acteur ambivalent, est aujourd’hui remis en question. L’érosion de son influence, soulignée par plusieurs experts, n’est pas une fatalité. Elle découle d’une posture fragmentée, d’un déficit de volonté politique et d’une prudence souvent excessive face aux enjeux éthiques. Ce sont moins les outils diplomatiques qui font défaut que le courage de les employer, à contre-courant des rapports de force.
Pourtant, l’Union européenne dispose encore de leviers importants : économiques, diplomatiques, normatifs. Encore faut-il qu’elle parle d’une seule voix. L’expérience ukrainienne l’a prouvé : face à une urgence géopolitique majeure, l’UE peut transcender ses divisions pour faire front commun. Le Moyen-Orient mérite la même exigence, la même cohérence.
Les conflits israélo-palestinien, syrien, libyen, soudanais, mais aussi le drame silencieux du Sahara occidental, appellent une diplomatie européenne plus audacieuse, alignée sur le droit international, affranchie des doubles standards et capable d’envoyer un message clair : le droit des peuples à l’autodétermination, à la paix et à la souveraineté est non négociable.
Dans cet esprit, l’Europe ne peut rester silencieuse face au mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale contre Benyamin Netanyahou pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à Gaza. La crédibilité morale et juridique de l’Union passe par un soutien public, unanime et sans équivoque aux décisions de la justice internationale, et par l’application effective de ce mandat sur son territoire. Toute tentative de relativiser cette décision fragiliserait les fondations mêmes du droit international que l’Europe prétend défendre.
Loin de favoriser l’équilibre, la passivité alimente le ressentiment et affaiblit sa crédibilité dans les forums multilatéraux. Elle doit aujourd’hui réinvestir les plateformes régionales, jouer un rôle de pont — non pas entre puissances, mais entre sociétés civiles, cultures politiques et aspirations humaines.
Le renforcement de la diplomatie préventive, la relance d’un multilatéralisme juste, et l’intégration systématique de la diplomatie populaire dans les processus de paix sont des pistes essentielles. La société civile, les acteurs non gouvernementaux, les intellectuels, les syndicalistes et les partis éthiques doivent être associés. Ce sont eux qui assurent la légitimité sociale des solutions politiques, et sans eux, toute résolution reste fragile.
À l’OMSAC, nous croyons fermement que la paix n’est pas un produit d’exportation, mais une construction collective, et que l’Europe, si elle fait le choix du courage diplomatique, peut redevenir un levier de stabilité, de justice et d’équilibre au Moyen-Orient.
Antonio Missiroli , conseiller principal, ISPI ; ancien secrétaire général adjoint de l'OTAN pour les défis de sécurité émergents : Le rôle de l'Europe au Moyen-Orient se réduit dans un contexte de tensions régionales croissantes

L'Europe est confrontée à deux défis majeurs en matière de sécurité. Le premier est le risque d'effondrement d'États ou d'instabilité généralisée au Moyen-Orient, qui aurait des répercussions immédiates pour l'Europe, surtout si un pays comme l'Iran, qui compte 90 millions d'habitants, est concerné. Un tel scénario pourrait refléter les conséquences des conflits en Libye et en Syrie, notamment en termes de flux migratoires massifs.
Le deuxième défi est l'érosion constante de l'influence de l'Europe dans la région. Ce déclin non seulement affaiblit la position stratégique de l'UE, mais exacerbe également les divisions internes, notamment sur des questions sensibles comme la reconnaissance d'un État palestinien et le statut de Jérusalem. Ces divisions menacent à la fois la cohésion interne de l'Union et la crédibilité de son action extérieure.
Le Moyen-Orient n'a traditionnellement pas été une priorité essentielle pour l'OTAN, à la fois parce qu'il se situe en dehors de la zone géographique prioritaire de l'Alliance et en raison de profondes divisions entre les États membres sur les questions liées à la région MENA. Néanmoins, lors du dernier sommet, les dirigeants de l'OTAN ont exprimé un soutien ferme aux actions américaines à l'égard de l'Iran, en grande partie en réaction à l'alignement de Téhéran sur la Russie.
Cependant, l'inquiétude grandit parmi les pays européens face à l'aggravation de la crise humanitaire à Gaza et à l'avenir de la non-prolifération nucléaire. Plus généralement, l'inquiétude grandit quant aux conséquences diplomatiques de la marginalisation de l'Europe dans les processus de paix au Moyen-Orient, notamment son exclusion des négociations nucléaires clés.
Katarzyna Sidło , analyste politique principale, MENA, EUISS : Les divisions internes sont fortes, mais l’UE est finalement capable de présenter un front uni

Les divisions internes ont considérablement limité la souplesse et l'efficacité de la politique étrangère de l'UE. Cela s'explique en grande partie par le mode de prise de décision, notamment en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC), où l'unanimité des États membres est requise.
La volonté politique et les perspectives réalistes de modifier ces règles sont faibles, notamment parce que le passage à la majorité qualifiée nécessiterait lui-même un accord unanime. D'autre part, si le processus décisionnel de l'UE est plus lent, il offre le potentiel de produire des résultats plus stables et durables, fondés sur le consensus. Cependant, ce modèle pourrait ne pas être le mieux adapté à l'urgence et à la volatilité du paysage géopolitique actuel.
La guerre en Ukraine offre de précieux enseignements, applicables à l'instabilité actuelle au Moyen-Orient. Il s'agit avant tout de l'importance des outils économiques – notamment les sanctions – comme levier politique pour influencer le cours du conflit. Cependant, pour que ces outils soient véritablement efficaces, des partenariats et des alliances solides sont essentiels. Les coalitions régionales capables de définir des objectifs communs sont essentielles, comme le montre le rôle crucial joué par les pays du Golfe dans certains dossiers régionaux, comme celui de la Syrie.
Il est tout aussi important de maintenir la confiance dans la possibilité de trouver des solutions communes, même lorsque le processus est complexe et long. Le cas ukrainien a montré que, malgré les difficultés internes, l'Union européenne a finalement réussi à présenter un front uni, ce qui devrait encourager des efforts similaires au Moyen-Orient.
Hugh Lovatt , Senior Policy Fellow, MENA, Conseil européen des relations étrangères (ECFR) : Les outils de l'UE pour aller au-delà de sa politique d'engagement exclusif avec Israël

L'Union européenne a exploré presque toutes les pistes dans ses relations avec Israël, à l'exception du recours à des moyens de pression coercitifs significatifs. Au début des années 2000, l'Union européenne a adopté une stratégie de conditionnalité positive dans le cadre de sa Politique européenne de voisinage : plus les pays partenaires obtenaient de résultats, plus l'UE offrait en retour.
Pour Israël, cela a conduit à la signature de l'Accord d'association. Cependant, cette approche n'a finalement pas réussi à influencer la politique israélienne envers les Palestiniens. L'UE et le Royaume-Uni ont tous deux opté pour un engagement continu, évitant la confrontation afin de préserver la communication et l'influence. Une position plus ferme envers Israël serait non seulement conforme aux intérêts stratégiques de l'Europe, mais offrirait également à l'UE l'occasion de s'affirmer comme un acteur géopolitique crédible au Moyen-Orient.
L'UE doit reconnaître que ses États membres disposent d'un large éventail d'outils diplomatiques. Il ne s'agit pas d'un manque de poids, mais d'un manque de volonté politique pour les utiliser. L'UE doit veiller à ne pas faciliter les actions illégales d'Israël en Cisjordanie et à Gaza, à commencer par l'interdiction d'importer des biens et des services financiers en provenance des colonies israéliennes.
D'autres mesures peuvent être prises dans le cadre de l'accord d'association UE-Israël, notamment par le vote à la majorité qualifiée, tandis que la Commission européenne devrait jouer un rôle plus proactif dans la promotion de ces mesures, plutôt que d'attendre que les États membres les initient. Parallèlement, l'UE a la capacité de soutenir l'autodétermination palestinienne et de renforcer la souveraineté dans les territoires occupés, envoyant ainsi un signal clair : l'État palestinien est un droit légitime et internationalement reconnu.
Intissar Fakir , Senior Fellow et directrice fondatrice, programme Afrique du Nord et Sahel, Middle East Institute (MEI) : L’UE en Afrique du Nord : y a-t-il de la place pour un engagement diplomatique renouvelé ?

Plusieurs questions négligées pourraient offrir d'importantes opportunités de renouvellement de l'engagement diplomatique de l'UE : des tensions persistantes entre le Maroc et l'Algérie au sujet du Sahara occidental à la polarisation et à la fragmentation croissantes au Maghreb, en passant par la trajectoire économique et politique préoccupante de la Tunisie.
En Tunisie, des interventions plus ciblées, comme la réouverture de l'espace civique ou le soutien à la croissance du secteur privé, pourraient être envisageables. En Libye, en revanche, une diplomatie technique, discrète mais efficace, est nécessaire, que l'UE est bien placée pour mener grâce à son engagement de longue date dans le pays.
Le cas du Maroc illustre parfaitement ce que l'UE peut faire en Afrique du Nord. Le véritable défi aujourd'hui – pour l'UE, les États-Unis et tout acteur désireux de s'engager sur cette question – est de définir une approche diplomatique qui réponde également aux aspirations du peuple sahraoui. L'objectif devrait être de rendre une résolution négociée plus attrayante que l'impasse ou le statu quo actuel. Cet objectif peut être atteint grâce à une combinaison d'incitations économiques, de mécanismes locaux de responsabilisation et d'une légitimité internationale renforcée, contrecarrant les tentatives du Maroc de résoudre unilatéralement le conflit.
Burçu Öczelik , chercheur principal, sécurité au Moyen-Orient, RUSI : Récupérer le rôle et la crédibilité de l'UE au Moyen-Orient via des plateformes multilatérales

Les pays européens sont confrontés à de nombreux défis régionaux, allant de la fragmentation persistante en Libye et des risques d'instabilité en Iran aux timides signes de progrès en Syrie et à la possibilité d'un cessez-le-feu à Gaza. Dans ce contexte, réaffirmer la valeur des plateformes multilatérales est plus crucial que jamais, surtout à l'heure où elles sont de plus en plus négligées dans un paysage géopolitique en pleine mutation.
Si chaque pays a sa propre trajectoire et son propre contexte, l'UE doit tirer les leçons de ses expériences passées, notamment des difficultés rencontrées pendant la guerre en Ukraine, pour reconstruire sa crédibilité internationale.
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