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Lanceurs d’alerte : la nécessité de l’établissement d’un statut en droit international ?

Plusieurs organisations internationales de la société civile invitent tous les citoyens à s’engager en faveur d’une protection efficace des lanceurs d’alerte !
Début mars 2015 Sarah Harrisson, collaboratrice de Wikileaks affirmait dans un entretien à Médiapart « [l]e droit international doit protéger les lanceurs d’alerte ».
Mais en quoi le droit international serait-il pertinent en la matière ? En effet, les lanceurs d’alerte n’apparaissent initialement que comme des individus soulignant une problématique d’intérêt général à un « instant T » mais surtout vis-à-vis d’une institution ou d’une entreprise géographiquement située. Il semblerait donc qu’ils aient une emprise nationale marquée ne nécessitant pas de recours au droit international sauf à constater une insuffisance de la protection territorialement accordée à ces personnes.
Cet appel au droit international marque-t-il alors une insuffisance de la protection accordée à ces personnes au niveau national ? Il y a sans aucun doute une incomplétude du statut de lanceur d’alerte tel qu’il est envisagé aujourd’hui. Il semblerait de prime abord nécessaire de réfléchir à un encadrement géographiquement plus vaste dans la mesure où les législations nationales sont victimes, à première vue, de leurs potentielles limites territoriales intrinsèques. Les cas les plus connus comme Edward Snowden et Julian Assange - indépendamment du bien-fondé ou non de leur qualification en tant que lanceurs d’alerte - viennent confirmer ce pressentiment à raison d’une dimension internationalisée de leur situation aussi bien quant aux informations transmises qu’à leur situation personnelle. L’apport du droit international apparaît dès lors ici capital pour suppléer, ou compléter matériellement les législations nationales mais surtout parce qu’une approche strictement nationale semble forcément parcellaire et donc insatisfaisante notamment en raison du caractère transfrontière des affaires révélées.
Par ailleurs, les études tant de l’OCDE que de Transparency International3 démontrent la grande disparité du cadre de protection offert aux lanceurs d’alerte d’un État à l’autre, quand ce cadre existe. Quand bien même plusieurs études soulignent l’importance de la mise en place d’un statut protecteur les concernant afin d’en faire l’un des outils les plus efficaces notamment de la lutte contre la corruption, force est de constater que sur cette thématique les réponses nationales apportées restent trop souvent insatisfaisantes. Le droit international pourrait donc venir compléter ou suppléer le droit national en apportant une réponse peut être plus globale ou à tout le moins, un statut minimal généralisé.
Mais surtout, le droit international a un rôle tout particulier à jouer dans des cas aujourd’hui peut être moins connus, ou à tout le moins, moins médiatisés comme ceux de Kathryn Bolkovac, Caroline Hunt-Matthes, de James Wasserstrom ou Anders Kompass. Il s’agit d’agents internationaux, c’est-à-dire de personnels en l’occurrence des Nations-Unies, qui ont été amenés à endosser le rôle de lanceurs d’alerte face aux pratiques dont ils étaient témoins au sein de cette organisation.
La première a révélé l’existence d’un réseau de prostitution dans le cadre de l’intervention en Bosnie ; la deuxième des cas de viols au sein de la mission du Haut-Commissariat pour les réfugiés au Sri Lanka ; le troisième a révélé un cas de corruption au sein de la MINUK et le dernier est l’auteur de la communication du rapport sur les cas de viol d’enfants en Centrafrique par les Casques bleus. Mais, contrairement aux personnes privées ou aux fonctionnaires nationaux, ces personnes ne dépendent d’aucun droit national.
En effet, afin de mener à bien leur mission elles s’engagent à une complète indépendance vis-à-vis de leur État de nationalité ou de celui du siège de leur organisation de rattachement. Ainsi, ces lanceurs d’alerte sont sous la juridiction exclusive de l’organisation à laquelle ils appartiennent.
A la lumière des exemples cités on ne peut cependant pas dire que la protection fournie aux agents internationaux en la matière est effective. En effet, aucun des quatre n’a obtenu réparation des représailles subies suite aux révélations faites. Dès lors, une réflexion strictement nationale viendrait à exclure ces personnes du champ de la protection des lanceurs d’alerte. Cette réflexion a d’ailleurs intégralement sa place dans le processus de réflexion actuelle sur l’accountability des organisations internationales ainsi que sur leur recherche de légitimité avec notamment la potentielle construction d’un droit administratif global. A l’heure où l’ONU tire les conséquences de certaines alertes nationales en créant le poste de Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée, il est temps également que le droit international se penche sur la notion globale de lanceur d’alerte.
Y a-t-il dès lors une nécessité d’établir un statut juridique de droit international pour les lanceurs d’alerte ? Incontestablement. Toutefois, on ne peut réellement parler d’un processus de création de ce statut puisque celui-ci a déjà commencé à se construire. Il est, en réalité, davantage question de réfléchir à une tentative d’harmonisation par le droit international des différents critères progressivement mis au jour pour tendre vers un socle de protection uniforme minimal. Ces personnes qui « prennent des risques que la plupart ne souhaitent pas assumer » ainsi qu’a pu le souligner Mme Koch la directrice régionale de Transparency International, nécessitent en effet la mise en place d’un « ensemble cohérent de règles applicables […] qui en détermine pour l’essentiel la condition et le régime juridique ». La réponse apportée ici tend donc davantage à dégager des pistes de réflexion pour élaborer un statut global des lanceurs d’alerte qu’à dégager une réponse définitive sur cette question. En tout cas, il devient de plus en plus nécessaire de réfléchir - pour des questions de sécurité juridique - aux modalités de son élaboration en droit international (I) ainsi que d’en dégager les éléments transversaux fondamentaux (II).